C’est la rentrée. On a encore un peu de sable dans les chaussures et derrière les yeux les paysages de l’été, des jeux de lumière à la surface de l’eau, des pièces baignées de soleil. Le son des grillons fera chanter la campagne jusqu’à octobre. Au calme des soirées chaudes succéderont des ambiances sonores envahissantes et l’espace de silence se rétrécira à mesure que chacun retournera à ses activités. Peu de gens sont sensibles à l’univers sonore qui les entoure et qui est souvent confondu avec l’environnement global. Les ingénieurs du son ont l’oreille fine et ils parcourent l’espace en explorateurs. Le paysage sonore est riche et varié. Il parle aux oreilles qui savent l’écouter. Pourquoi ne pas y aller faire une petite ballade ? Les oreilles ne s’endorment jamais. A moins qu’on les bouche, impossible de se soustraire aux sons qui nous entourent. Si on entend 24 heures sur 24, on n’écoute que très peu. Les messages que le monde nous envoie sont très nombreux et il existe des milliers d’objets sonores à identifier. L’écoute est surtout pratiquée lors des conversations ou lorsqu’on assiste à des réunions. En fait, une grosse majorité des êtres vivants équipés de deux oreilles n’écoute pratiquement jamais que des paroles (des messages) ou de la musique, le plus souvent comme bruit de fond. Le silence est pourchassé un peu partout : des milliards de haut-parleurs distillent une musique sirupeuse dans le métro, au supermarché, dans les rues piétonnes, dans les ascenseurs… C’est un peu comme le papier peint sur les murs : ça donne une impression d’ensemble, ça camoufle les murs mais ça ne raconte rien. En camouflant le silence, on dissimule aussi les bruits de la vie. Comme si la vie, quand il s’agit de vibrations de l’air, ça devait se cacher. En fait, on perd toute une dimension. A la naissance, l’enfant pousse un cri. En dépliant ses poumons, le bébé prend conscience de lui-même et de l’espace qui l’entoure. Ses oreilles fonctionnent déjà depuis un bout de temps et ont connu un monde sonore qui filtrait à travers un milieu liquide. Avec l’air, il va retrouver des éléments rassurants qui ressemblent à ses souvenirs d’avant. La voix de la mère fera le lien. Les autres bruits ou musiques seront reconnus et l’apprentissage de l’écoute va commencer. Quelques mois plus tard, il goûtera sa voix et avec le babil, il explorera l’espace sonore de sa chambre ou de la salle de bains. Vous savez bien, là où on ne peut que difficilement s’empêcher de chanter ou de siffloter. Parce qu’on a besoin de se situer dans l’espace et de se retrouver, soi au milieu du monde. En prenant conscience de ce petit jeu entre le monde et notre personnage sonore, on équilibre notre relation avec lui. En être conscient c’est augmenter son espace de vie et le plaisir de se sentir bien. Quand la sensibilité n’existe presque pas, on subit des situations dans lesquelles on disparaît. Le bruit est la cause de maladies nerveuses : on arrive difficilement à s’y soustraire et il nous pousse vers l’isolement. En subissant le bruit comme une agression, on rejette toute une partie du monde qui devient de plus en plus difficile à comprendre. La limite inférieure du silence, c’est notre propre bruit. Les acousticiens ont défini la limite d’audibilité d’un son comme le son le plus faible que peut percevoir un être humain. En fait, le silence est limité par le niveau de bruit que nous produisons pour assurer nos fonctions vitales : la respiration, le battement du coeur, le bruit du sang qui circule. Rechercher le silence absolu c’est se retrouver face à soi-même, lorsqu’on a éliminé tous les autres bruits, produits par tous les autres. Il paraît que c’est insupportable. Le bruit intense sert aussi à certains pour s’isoler du monde : un casque vissé sur les oreilles et une écoute à niveau élevé d’une musique la plus dense possible, plus rien ne filtre. En flirtant avec les niveaux sonores élevés, l’oreille se détériore définitivement et on se retrouve sans espoir de retour plongé dans un silence pesant. Bruit extrême et silence, bruits masqués et silence meublé sont des états zéro de la communication. La richesse que nous offre le monde sonore et la variété de ses paysages sont indispensables à notre équilibre. Le petit monde du son : monteurs, mixeurs, preneurs de son sont des dégustateurs expérimentés : ils connaissent un monde dans lequel ils s’ennuient rarement. Ils accumulent des points de repère et sont intarissables quand il s’agit de partager leurs expériences. La communication audiovisuelle repose sur la construction d’images visuelles ou sonores. On s’attache souvent à l’image seule, en réduisant le son à un texte ou à une musique, parce que c’est facile. Mais quand on connaît l’influence importante des paysages sonores traversés le plus souvent de manière inconsciente par la majorité, tout un espace créatif s’ouvre. Réveiller un sens est un travail passionnant. Les « travailleurs du son » sont des gens passionnés. A l’heure où les moyens techniques deviennent de plus en plus confortables, les possibilités créatives se libèrent des contraintes imposées autrefois par la technique. En se promenant dans le paysage sonore avec les oreilles bien ouvertes il suffit de cueillir les idées. Commencer à entendre, c’est rendre possible la communication. Il n’est de pire entendant que celui qui veut entendre ! Bonne promenade.
Philippe Vandendriessche